La foule avance vers moi. Une femme me bouscule, sa valise roule sur mon pied. Un petit garçon saute de toutes ses forces dans les bras d’un homme. Des amoureux s’embrassent à pleine salive. Je détourne le regard. Ma vue se brouille, un nuage de fumée se dissipe ; elle se tient devant moi.
J’ai tout prévu ! Ce soir : dîner aux chandelles à la maison. J’ai commandé chez Lignac. Demain : grasse matinée et farniente ; j’ai juste pris des billets aux Arts Déco en fin d’après-midi. Nous sommes invités chez Marc et Caro pour le dîner ; j’espère qu’elle acceptera d’y aller. J’aimerais vraiment qu’elle rencontre mes amis, ça fait quand même deux ans.
– Tu as fait bon voyage ma chérie ?
– Bof… Fred, je vais pas pouvoir rester.
Mes pensées s’arrêtent net. Je la regarde. Son visage se verrouille. Elle pince ses lèvres. Son regard vide, plonge dans le mien.
– Je te quitte.
Je vois bien qu’elle s’est entraînée à prononcer ces mots. Sa voix ne tremble pas. Ce « je te quitte » sonne comme « le ciel est bleu », dépourvu de toute émotion.
– Mais qu’est-ce que tu racontes ? Il s’est passé quelque chose avec ton mari ?
– Pas du tout.
– Si c’est pas ton mari, c’est Camille ? Cette conne t’a encore retourné la tête ? Je t’ai dit que ça n’était pas vraiment une amie.
– …
– Tu ne m’aimes plus ?
– …
– Putain Alice ! Dis quelque chose, merde ! Tu me fais le coup à chaque fois que ça va bien entre nous. Tu m’aimes, et puis… pas. Qu’est-ce que tu veux à la fin ?
– Je veux jouer. Je veux pouvoir te prendre et te jeter, juste pour voir comme ça fait mal. Je veux m’installer dans ta vie, et disparaître sans que tu t’y attendes. Je veux que tu viennes en moi et que tu me cherches au réveil. Je veux tout détruire sur mon passage. Descendre, et puis monter. T’aimer, et te quitter.